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DU TEMPLE AU THÉÂTRE, Alain Charre, 1986

Écrit pour l’exposition « Polaroid-Photographies » Artothèque de Lyon, mars 1986

L’exclusion du temps, qu’on nomme éternité, revient au temple comme censure de toute parole païenne. Le musée dans sa fondation veut l’imiter – sceller l’espace définitivement.
Quand Giotto invente l’histoire – en racontant dans le détail quotidien l’iintérieur de la maison, l’activité des femmes ou la colère du Christ renversant les marchands du sanctuaire – il donne au geste la parole.
Le silence gothique est ouvert comme une conque : s’entendent les dialogues des femmes aux préparatifs de l’accouchement de la vierge et la voix de l’ange annonciateur. On babille, on marche dans le ciel. Le théâtre des acteurs va remplacer le temple des prêtres. Cet enjeu est encore le nôtre. Contre ce qui tend à figer les images au nom de quelque modernité ou post-modernité, contre ce qui s’efforce de retenir, d’établir et de guider, même par des stratagèmes et des ruses sophistiquées, contre les immortels, la mouvance indécise des conversations, entretenues par l’artiste avec ses jeux singuliers, pose l’indiscipline de l’invention et de l’inattendu. La femme.
À cette mouvance des surfaces, qui assimile la peinture et la pellicule – en l’occurrence du polaroid glacé – comme film, s’ajoute l’acte de passage – du noir à l’irradié, d’une séquence à l’autre. Le cinéma, dont il est question, serait-il toujours baroque ou romantique ? Héroïque certainement ; pensez à Wells ou à Godard. Or la femme n’accouche pas du héros – la mère seulement, pas la femme. Corinne Mercadier est artiste. L’émergence irradiante des colonnes et des frontons, revenus directement (peut-être par la langue des femmes) des fresques de Padoue, fend ce qu’elle décrit comme « le chaos du silence ». Comme l’ombre, plane le fantasme fondateur, ni caché ni montré mais déployé en surfaces parce que sans cesse en mouvement – jamais d’après une hypothétique profondeur. Baroque comme l’est l’appropriation par Eisenstein des mensonges extraordinaires de la « Vue de Tolède » (1604-14) du Greco, comme le sont les « Inventions Capricieuses » de Piranèse. Ici, en 1986, la fluidité des images n’a d’égal que la brûlure de leur passage, traves charnelles de la délivrance du temps. Face à l’artiste, nous ne sommes pas l’Autre, mais comme lui, l’acteur. Vers l’énigme le plus possible.