Author texts

Entretiens Corinne Mercadier-Martine Sadion

Octobre 1987
Pour le catalogue de l’exposition personnelle « La mesure du vide » au Musée de Valence, du 8 décembre 1987 au 10 janvier 1988

Le Polaroid
J’utilise exclusivement le SX70. C’est pour moi comme si les images qu’il produit entretenaient avec la réalité un lien moins serré que les autres appareils : faible profondeur de champ, mise à plat radicale, apparentent l’espace de ces photographies à un espace pictural.
Les caractéristiques optiques de l’appareil, les composants de la pellicule servent l’esprit dans lequel je travaille, la distance avec l’espace connu, la volonté de perturber la photographie comme représentation d’un espace « expérimentable ».
J’expose des SX70 originaux et, à partir de Polaroids, des tirages, dont les plus récents mesurent 1mx1m. J’aime l’intimité que l’on peut avoir avec les petits SX70 (la première génération), et je tiens aux seconds, quand l’image s’y prête, par besoin de monumentalité, en raison du lien avec l’architecture, pour occuper l’espace réel – Là où est celui qui regarde.
 
La peinture photographiée – la lumière
Je photographie des plaques de verre peintes, seules ou superposées – outils de la seule prise de vue, éléments d’un processus de fabrication de l’image photographique : couleurs, matières, traces, sont conçues pour être détournées. Cette installation dans l’atelier attend le moment de l’éclairage. La lumière modèle le vide, la profondeur et le verre, support des peintures, donne une apparence autonome aux objets figurés ; laissant circuler la lumière en lui-même, il fait croire en des relations mesurables à l’intérieur de l’espace représenté, dans une supposée étendue. Cette lumière – solaire – fait exister les images en créant le volume et l’aura des objets. Elle en vient à donner d’elle-même une représentation.
 
L’architecture, mesure de l’espace
« Si l’on considère l’architecture comme réponse poétique et constructive à notre désir de localisation et de mémoire, (ce qui est le cas dans toute son histoire) géométrie et archéologie – donc les notions d’« espace » et de « monument » - seront immédiatement impliquées.
Vittorio Ugo, - « Une hutte, une clairière ». In Critique P.102, n°476/477 – 1987.
Actuellement je travaille à partir de l’idée d’architecture. Ce sont des architectures  sans usage, non contenantes, des projections mentales. Elles bâtissent un espace de représentation et de rêverie.
C’est une image particulière, l’Annonciation à Sainte Anne de Giotto (Chapelle de l’Arena) qui est à l’origine de mon travail actuel. En 1985, j’utilisais certains éléments de cette fresque. Je photographiais des fragments d’image imprimée, des objets, des effets lumineux et la première architecture que j’ai peinte sur verre, la maison de l’Annonciation. Puis cette maison originelle est devenue prétexte à des glissements successifs vers un espace et un répertoire de formes qui me sont propres. Petit à petit les citations sont devenues moins reconnaissables : balustrades, statues, frontons se mêlent à des formes inventées, sans références au passé. Les éléments anciens trouvaient leur origine dans l’histoire de la peinture, l’espace pictural (tableau ou mur) ou sa médiation par le livre. Les plus récents s’apparentent à l’espace contemporain, là où nous vivons. Le voisinage d’éléments historiques et contemporains constitue notre environnement habituel. Cette juxtaposition, qui dit l’épaisseur du temps, me sert à montrer celle de l’espace.
 
L’absence
L’architecture est une trace, une affirmation par défaut de la présence humaine ; Et quand la figure humaine apparaît, c’est sous forme de statue ou de fantôme.
 
Fiction et réalité
Outre la présence d’éléments architecturaux évoquant des temps différents, il y a le « vrai » et le « faux » ; la photographie dit : voilà l’exacte vérité de ce qui n’est pas visible en dehors de ce cliché. Tout le travail d’atelier, c’est-à-dire la peinture sur verre, les choix des accessoires, le dispositif de prise de vue et l’utilisation de la lumière est précisément calculé, mesuré en fonction de l’image à produire. Pour que l’irréalité du sujet, de l’espace devienne plausible.
Cette élaboration n’a rien d’agité :
Comme on ajuste un télescope dans un observatoire sur un point de l’espace dit « infini », avec des mouvements réduits et concentrés.
Le dispositif de table servant à la prise de vue est dérisoire par rapport à l’image finale ; toute notion d’échelle perdue – Étirement entre « ici seulement » et « éternellement ailleurs ».
L’espace créé par le Polaroid n’a de sens pour moi que parce que les objets représentés sont des peintures plates et non des maquettes. Je me tiens ainsi entre la peinture et la photographie, et non entre le théâtre et la photographie. Je ne témoigne pas d’un espace de fiction, celui du décor, mais je cherche une fiction d’espace, sans autre lieu d’existence que l’image.
 
Le temps
Le temps du cliché, nécessairement instantané, est le temps de révélation d’une image qui sort de la non-existence pour vivre dans cet instant et nous rester présente. La vérité importante pour moi est d’abord celle du temps. Un instant l’appareil a vu « cela » et en donne la trace.